Introduction
La boxe des oreilles, plus souvent appelé telefono, est un moyen de blesser un individu en lui claquant simultanément les oreilles avec les mains en forme de coupelle. Cela cause une augmentation soudaine et rapide de la pression dans le canal auditif, avec des conséquences évidentes et douloureuses. {1}
Punition
Les amateurs des Aventures d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll connaissent sans le savoir le telefono :
« Il- il fait un bien beau temps aujourd’hui ! » dit une voix timide à Alice. Elle marchait auprès du Lapin Blanc, qui la regardait d’un œil inquiet.
« Bien beau, » dit Alice. « Où est la Duchesse ? »
« Chut ! Chut ! » dit vivement le Lapin… « Elle est condamnée à mort »
« Pour quelle raison ? » dit Alice…
« Elle a donné des soufflets à la Reine » (en anglais traduit « Elle a boxé les oreilles de la Reine... ») commença le Lapin.{2}
Les premiers lecteurs de Carroll connaissaient la boxe des oreilles, car c'était une forme populaire de punition des enfants à l'époque victorienne. Cependant, même à une époque où le châtiment physique des enfants était considéré comme acceptable et normal, cette punition particulière était connue pour être risquée :
Car non seulement la surdité est-elle causée par les coups, qui rompent le tympan, mais l'inflammation de la cavité interne, si fréquente, pourrait être suivie d'une maladie des os, donnant lieu à un abcès du cerveau, et entraînant une issue fatale.{3}
La connaissance de ces dangers n'était pas réservée à l'élite académique. De l'autre côté de l'Atlantique, en Amérique, un article du magazine Mormon Housewives citait un poème de la poétesse victorienne Elizabeth Browning qui « commémore l'acte d'un vieux comte d'Arundel » dont l'enfant est devenu « retardé sous l'effet des coups ».{4} L'auteur de l'article conclut : « Il serait bon que chaque parent... garde ces vers en mémoire ; car la blessure rapide et irréfléchie infligée aux enfants par la boxe des oreilles, qui à l'époque était naturelle, est quelque chose d'incalculable ».{5}
Combat
Dans les années 1960, le telefono a fait son entrée dans la culture populaire lorsque Capitaine Kirk l'a déployé pour assommer le Gorn, semblable à un lézard, lors de la première saison de Star Trek.{6} Un élément de base dans les cours d'autodéfense et les manuels militaires, il a même été enseigné aux commandos britanniques de la Seconde Guerre mondiale :
Formez vos mains en coupelles, en gardant le pouce et les doigts pliés, et collés l’un à l’autre. Frappez votre adversaire simultanément sur les deux oreilles, en utilisant une force de vingt à quarante Newton avec les deux mains. Cela fera probablement perforer l’un ou les deux tympans et lui donnera au minimum une forme de commotion cérébrale légère, et fera de lui ce que l'on appelle dans les cercles de boxe "punch-drunk" ou sonné. Vous n'aurez alors aucune difficulté à vous occuper de lui comme vous le souhaitez.{7}
En analysant la technique dans « Black medicine, The Dark Art of Death » (La médicine noire, l’art sombre de la mort), un gourou de l'autodéfense des années 1970 a écrit : « L'oreille contient une grande concentration de nerfs sensoriels associés à l'audition et à l'équilibre. Frapper l'oreille avec la main en coupelle envoie une onde de choc dans le canal auditif, ce qui rompt le tympan et choque les mécanismes délicats de l'oreille interne, produisant une douleur intense, des vertiges et une perte de conscience ».{8}
Torture
La boxe des oreilles est courrament pratiquée comme forme de torture.{9} Appelée de différentes façons, notamment telefono en espagnol, chakoshi ("le marteau") en japonais et kalot marasa ("les jumeaux") en créole haïtien, son utilisation comme forme de torture est documentée dans plus de 20 pays à travers le monde.{10} On sait peu de choses sur sa véritable prévalence, mais il existe des données intéressantes. En 1999, 17% de personnes orientées vers un centre de réhabilitation danois auraient été victimes du telefono ; elles venaient d'Afghanistan, du Chili, d'Iran, d'Irak, des territoires palestiniens occupés, de Turquie et de l'ex-Yougoslavie.{11} Et une étude suédoise de 2003 a examiné 160 réfugiés de six pays et a constaté que 18,8%, tous originaires du Pérou, avaient été torturés par telefono.{12}
Conséquences
Les conséquences physiologiques voulue par le telefono sont causées par l'accumulation rapide de pression à l'intérieur du canal auditif, ce qui entraîne des blessures à effet de souffle. Il est probable que les membranes tympaniques soient perforées, entraînant une douleur à court terme et une perte auditive, et que l'os temporal se fracture. Les séquelles de cette situation comprennent des infections de l'oreille moyenne (en particulier dans les lieux de détention sales), qui peuvent à leur tour entraîner des infections chroniques de l'oreille et des os ainsi que des cholestéatomes.{13} Et la destruction des cellules ciliées de l'oreille interne peut provoquer de façon permanente ou à long terme des acouphènes, des vertiges et une perte d'audition.{14}
Synonymes
Témoignage
J'ai l'habitude de trouver des preuves de l'existence du telefono dans des pays non européens. Mais j'ai été surprise la première fois que j'ai entendu que cela se passait dans un pays européen à hauts revenus. Mon patient me parlait d'une « cérémonie de bienvenue » que lui et les autres nouveaux prisonniers ont reçu à leur arrivée dans sa prison actuelle. Il a décrit avoir été frappé aux deux oreilles par un gardien de prison qui portait des gants noirs. Tout cela me semblait un peu familier et je me suis donc demandé « Est-ce qu’il s'agis d'une raclée générale ou est-ce que ça pourrait être telefono ? » Ses réponses à mes autres questions ouvertes ne m'ont laissé aucun doute : les coups étaient à la fois bilatéraux et répétés, il souffrait beaucoup à ce moment-là, du sang s'était écoulé de ses deux oreilles et, des mois plus tard, il n'entendait toujours pas bien et avait parfois le vertige. Et mon examen de ses membranes tympaniques a montré des perforations bilatérales, qui sont bien sûr compatibles avec le telefono. (Dr Rachael Pickering)
Références
1. Traduit de : United Nations (editor). Istanbul Protocol: manual on the effective investigation and documentation of torture and other cruel, inhuman, or degrading treatment or punishment. Revision 1. United Nations, New York; 2004: 76
2. Traduit de : Carroll, L. Alice’s Adventures in Wonderland. Publisher, City; year: ?73.
3. Traduit de : Surname, Initial. Boxes on the Ear. The London reader: of literature, science, art and general information. 1878; 31.801:449
4. Traduit de : Surname, Initial. A Box on the Ear. Woman’s Exponent. 1891; 20.3: 19.
5. Traduit de : Ibid.
6. Traduit de : Star Trek The Original Series. Episode 1x18: Arena. Paramount Television, United States; 1967.
7. Traduit de : Fairbairn, W. All-in Fighting. Naval and Military Press, City; 2009 (reprint edition): page
8. Traduit de : Mashiro, N. Black Medicine: The Dark Art of Death. Paladin Press, United States of America; 1978: page
9. Traduit de : Nowak, M. Promotion and protection of all human rights, civil, political, economic, social and cultural rights, including the right to development. Report of the Special Rapporteur on torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment, Manfred Nowak. Mission to Sri Lanka. United Nations, United States of America; 2008: page
10. Traduit de : Rejali, D. Torture and democracy. Princeton University Press, United States of America; 2007: 849
11. Sinding, R., Smidt-Nielsen, K. The late ear, nose, and throat region sequelae of torture. Torture. 1999; 1/99(9): pages.
12. Moisander, P., Edston, E. Torture and its sequel - a comparison between victims from six countries. Forensic Sci Int. 2003; 137(2–3): 133–40.
13. Traduit de : Graessner, S. Tinnitus in torture survivors. Torture. 1994; 1/94(4): 19-22.
14. Traduit de : Sinding, R., Smidt-Nielsen, K. Art cit: page.